Réécriture d’un extrait du “Docteur Pascal”, écrit par Émile ZOLA


En somme, Alim n’avait foi qu’en la littérature et la philosophie. Dans une communauté hostile à toute idéologie étrangère, elles étaient ses uniques échappatoires, les grandes rocades, les ciments de sa pensée. Elles résonnaient en son esprit. Comme la vie instrumentalisait l’hérédité pour faire le monde, elles assemblaient les mots pour leur conférer une épaisseur nouvelle. Par d’habiles jeux sémantiques, les deux sciences transformaient ces assemblages de lettres en colis à destination du lectorat. Ces envois postaux ne contenaient rien de matériel. Ils étaient bien plus valeureux, car lourds de sens. Chez lui, à plusieurs occasions, il avait témoigné d’injustices, de violences, de boucheries dont les victimes étaient toujours les mêmes : les autres. L’autre sexe, les autres couleurs, les autres confessions, les autres horizons. Son diagnostic était sans appel. La maladie était bien là. Dégénérative, elle affectait l’esprit critique et touchait plusieurs rouages d’organes. Elle trouvait refuge dans des réflexions réductrices, des dires acerbes, des actions zélées et faisait barrage à la circulation du progrès dans les veines de la société. Il était parvenu au triste constat qu’il vivait dans les ténèbres d’une pensée qui se voulait confessionnelle. En lui, ces observations faisaient germer une pitié militante de médecin. Ah ! ne plus être malade, ne plus souffrir, ne plus péricliter, ne plus creuser. Il y songeait avec conviction. Il estimait pouvoir défaire l’univers du bubon de l’obscurantisme en pansant les peines par l’instruction. Il pensait que son bon sentiment aurait l’effet d’un catalyseur, qu’il ferait évoluer les consciences. En occident, est-ce qu’à coup d’insurrections, on ne faisait pas d’un besoin une réalité, haussant ainsi progressivement les nations au statut de pays libres ? Parallèlement, à chaque reprise, Alim relevait un phénomène étonnant. L’hérédité n’était vraisemblablement pas vectrice de cette peste. Pourtant, les enfants de patients apportaient un terrain dégénéré où la maladie se développait à une vitesse effrénée, d’une facilité rare. Ce mystère sociétal attisait sa profonde curiosité et sa volonté de fertiliser ces terrains détériorés pour leur donner la force de résister à la méconnaissance, ou plutôt à la destructrice ignorance qui depuis longtemps aggrave cette prédisposition. Donner de la force, tout le problème était là ; et donner de la force, c’était aussi donner de la volonté et de la nuance, ne plus décorer l’encéphale mais le meubler réellement pour consolider l’être humain.

NIZAR BACHIRI

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